Un an de droit de la Convention européenne des droits de l’Homme en matière pénale

Un an de droit de la Convention européenne des droits de l’Homme en matière pénale

 

  1. Le Droit à la vie (article 2 CEDH) – Bulgarie
    La réparation des proches de victimes de meurtres est-elle un principe protégé par la CEDH ?

L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme impose à chacun des Etats ayant signé cette convention de protéger leurs citoyens en déployant les moyens nécessaires à cette protection.

Conformément à cet article, il est interdit d’infliger la mort à une personne, sauf lorsque cela est nécessaire, notamment « pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection ».

Dans le cas où cela se produirait, l’Etat concerné doit pouvoir permettre aux victimes d’obtenir réparation de leurs préjudices, et notamment avoir le droit de se constituer partie civile.

Un arrêt rendu par la CEDH le 21 juillet 2020 « Todoroc c/ Bulgarie » (n°31434/15) apporte quelques précisons à cet article. En effet, dans cette affaire, un individu ayant perdu son frère victime d’un meurtre, n’a pas pu se constituer partie civile car le droit bulgare ne le lui permettait pas. Or, la directive européenne 2012/29/UE leur permet pourtant d’obtenir réparation du préjudice subi.

En l’espèce, l’individu étant le seul membre restant de la famille de la victime, l’Etat Bulgare a manqué à son obligation de « fournir aux victimes une réparation adéquate ».

Enfin, la Cour ajoute que pour éviter de nouveaux faits similaires, les Etats concernés doivent mettre en place une « législation pénale » efficace permettant d’éviter les atteintes à la vie. Le droit à la vie doit donc être encadré par une législation et une administration effective.

 

  1. Prohibition de la torture, traitements inhumains et dégradants (article 3 CEDH)

 

  1. Violences commises par personne dépositaire de l’autorité publique – France
    L’article 3 de la CEDH s’applique-t-il à des faits de violences policières ?

L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». 

Mais qu’en est-il du recours à la force des agents de police ?

L’arrêt Castellani c/ France, rendu par la CEDH le 30 avril 2020 (n°43207/16) apporte des précisions.

En l’espèce, un homme a été victime d’importantes blessures suite à son arrestation. Il s’est vu reconnaitre 19 jours d’incapacité totale de travail. Durant cette arrestation, l’homme aurait également été victime d’une certaine souffrance psychique. En effet, les faits se sont déroulés devant sa femme et sa fille. Enfin, concernant l’arrestation, l’unité qui est intervenue était le GIPN, unité intervenant dans des situations de crise ou particulièrement difficiles. Cette dernière n’était pas autorisée à réaliser cette intervention. En effet, elle était présente sur les lieux pour procéder à d’autres types d’interpellations, et le commandant de police à l’origine de cette initiative, a profité de la présence de cette unité pour interpeller l’intéressé.

Dans sa décision, la Cour estime que l’intervention du GIPN n’était pas nécessaire pour l’arrestation de l’individu. De plus, elle ajoute que les importantes blessures dont a été victime le requérant ne sont pas justifiées. Enfin, concernant le critère psychologique, la Cour relève que l’unité aurait dû prendre en compte la présence de la femme et de la fille du requérant.

 

  1. Violences familiales – France
    Une requête déposée par des associations de défense de l’enfance suite au décès d’un enfant par violences peut-elle mettre en cause la responsabilité des parents ?

Dans l’arrêt rendu par la CEDH le 4 juin 2020 « Ass. Innocence en Danger et Ass. Enfance et Partage c/France », (15343/15), des associations de défense de l’enfance ont saisi la Cour pour dénoncer des violences familiales.

En l’espèce, un enfant est décédé suite aux violences infligées par ses parents. Avant le décès de cet enfant, la directrice de l’établissement de ce dernier avait signalé des faits de maltraitance.

Dans sa décision, la Cour rappelle que la responsabilité des parents est établie, peu importe la requête déposée. En ce qui concerne l’Etat, la Cour estime que ce dernier a réagi rapidement après le signalement de la directrice, mais que cette affaire n’aurait pas dû être classée sans suite aussi rapidement. En effet, lors de son audition, l’enfant n’a pas parlé de violences familiales, mais il n’était pas encadré par un psychologue, ce qui aurait pu éviter les faits. Pour finir, la Cour estime que la France a violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme en ne protégeant pas correctement cet enfant.

 

  1. Exploitation sexuelle d’un mineur – Turquie
    L’intégrité physique des individus peut-elle être compromise par un manque d’effectivité d’une procédure pénale ?

Dans un arrêt rendu par la CEDH le 9 février 2021 « N.C c/ Turquie (40591/11), une mineure de 15 ans a été victime d’abus sexuels.

Suite à la procédure pénale menée en réponse à la plainte de la victime, la Cour a relevé de nombreux dysfonctionnements. En effet, cette mineure n’a pas bénéficié d’un accompagnement par un psychologue durant la procédure. De plus, elle a été confrontée plusieurs fois avec les accusés durant les audiences, alors qu’elle n’avait jamais demandé ces confrontations. A cela s’ajoute le fait que l’enquête a duré 11 ans, un délai excessif, de sorte que certaines charges ont dû être abandonnées pour prescription de l’action publique. Enfin, le procès n’avait pas été délocalisé alors même que la victime subissait des menaces de la part des proches des accusés.

De ce fait, la Cour explique que l’Etat en question n’a pas respecté les articles 3 et 8 de la
Convention européenne des droits de l’Homme, obligeant l’Etat à protéger « l’intégrité physique des individus ». En effet, elle explique que la procédure pénale en l’espèce n’a pas été effective, ouvrant droit à réparation.

 

  • Le travail forcé (article 4 CEDH) – Croatie
    Comment les policiers peuvent-ils démontrer la contrainte dans des faits de travail forcé ?

 

L’alinéa 2 de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit que « Nul ne peut être astreint à effectuer un travail forcé ou obligatoire ».

Dans l’arrêt rendu par la CEDH le 25 juin 2020 « S.M/ Croatie » (60561/14), la Cour reprend cette notion de « travail forcé », et juge que « des cas d’exploitation grave, comme la prostitution forcée », rentrent dans le champ d’application de l’article.

En l’espèce, une femme à la recherche d’un emploi a été contactée par un proche par l’intermédiaire d’un réseau social. Il lui a proposé de rejoindre son réseau de prostitution. Son réseau a bien été découvert par les autorités. L’enquête a démontré que le proxénète menaçait la victime, et récupérait la moitié des gains qu’elle percevait.

Le proxénète a, dans un premier temps, été relaxé. Le juge a estimé que la victime n’avait pas démontré qu’elle avait été forcée à se prostituer, ne remplissant ainsi pas la condition de contrainte. C’est cette condition qui a distingué ces faits d’une situation de travail forcé, autant en première instance que devant la cour d’appel, ainsi que devant la juridiction constitutionnelle saisie.

Pourtant, la Cour européenne reproche à l’Etat de ne pas avoir suffisamment tenté de démontrer qu’une contrainte existait : les communications électroniques n’ont pas été assez exploitées. Par ailleurs, la mère de la victime a également été menacée, ce qui n’a pas été relevé par les différentes juridictions saisies. Cette incertitude dans les faits a profité à l’accusé, alors même que la victime n’avait aucun contrôle sur l’enquête et s’est donc vue débouter de sa demande du seul fait que les autorités avaient omis plusieurs éléments significatifs.

La Cour reproche donc à l’Etat de ne pas avoir respecté l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et donc d’avoir eu recours à une procédure non-effective : l’enquête n’ayant pas été correctement menée, la victime n’a pu faire valoir ses droits.

 

  1. Droit à la liberté et à la sureté (article 5 CEDH)

 

  1. Droit pénal des mineurs – Suisse
    Une disposition législative autorisant implicitement le placement en détention provisoire, pendant l’instruction, d’un prévenu mineur au moment des faits, est-elle bien fondée ?

L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit que « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté », sauf dans quelques cas énumérés par ce même.

La question de l’interprétation des dispositions liées à la privation de liberté, en droit pénal suisse des mineurs, s’est posée devant la CEDH. Notamment, pour déterminer si un délinquant, mineur lors de la commission de l’infraction, peut être placé en détention provisoire lors de la procédure de réexamen (CEDH 27 octobre 2020 Reist c/ Suisse, n°39246/15).

Le droit suisse autorise, implicitement, le placement en détention provisoire d’un prévenu lors de la procédure de réexamen pour une infraction commise lorsqu’il était mineur : en effet, le Procureur ne peut ordonner une telle mesure que « pendant l’instruction ».

La Cour constate que le droit suisse ne donne pas un fondement suffisant à la privation de liberté. Cependant, le Gouvernement a pu fournir des explications, et la Cour a décidé de ne pas se fonder sur une interprétation stricte et littérale de la disposition litigieuse. En effet, des mesures ont été mises en place par le droit suisse pour protéger les personnes concernées par cette disposition.

Compte tenu de la spécificité du droit pénal des mineurs, et de l’attention particulière du droit suisse concernant les mineurs incarcérés lors de l’instruction, la CEDH admet le bien-fondé de cette disposition, qui serait dans d’autres circonstances sanctionnable.

 

  1. Appel non suspensif – Suisse
    Une détention peut-elle être uniquement justifiée par un risque de fuite, si le mis en cause a déjà été acquitté par le juge de première instance ?

L’article 5, §1, de la CEDH autorise la détention d’une personne « s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ».

Dans un arrêt rendu par la CEDH le 6 octobre 2020 « I.S c/ Suisse », (n°60202/15), la Cour a pu préciser les modalités de cet article.

Il était question en l’espèce d’un requérant, placé en détention avant le jugement de première instance en raison d’un risque de fuite, et n’ayant pas été libéré après celui-ci, car le ministère public avait interjeté appel. La Cour a cherché à déterminer si la détention de 230 jours, jusque l’arrêt d’appel, était justifiée au vu de l’acquittement prononcé par le juge de première instance.

En se fondant sur la confiscation des pièces d’identité du requérant, la CEDH a pu déduire que la privation de liberté, en l’espèce, n’était pas justifiée.

Une détention aussi restrictive doit donc être spécifiquement justifiée, et ne peut l’être par une crainte générale que l’intéressé commette une nouvelle infraction.

 

  1. Garde à vue en matière de terrorisme – Turquie
    De quelle manière une privation de liberté avant tout jugement peut-elle être justifiée ?

La Cour a pu se prononcer sur la validité des soupçons pouvant justifier une privation de liberté avant un jugement (CEDH gr. Ch., Demirtas c/ Turquie (n°2)). En l’espèce, un député kurde avait tenu un discours quatre ans auparavant, discours ayant justifié son arrestation pour terrorisme. Pourtant, ni ce discours ni les écoutes téléphoniques effectuées ne constituaient des éléments assez probants dans l’affaire.

De plus, l’intéressé avait remis en question l’authenticité des écoutes, ce qui selon la CEDH impose aux autorités judiciaire la charge de la preuve de leur crédibilité.

La liberté d’expression est rappelée dans cet arrêt, et compte tenu de la nature fondamentale de celle-ci, la Cour rappelle la nécessité de rassembler des éléments probants crédibles et valides pour justifier une privation de liberté liée à l’exercice de la liberté d’expression. La CEDH rappelle que cette privation, en raison de l’exercice de la liberté d’expression, ne doit pas résulter d’une manipulation erronée du droit national.

Par exemple, des éditeurs ayant participé à des débats publics ne peuvent être privés de leur liberté au motif qu’ils soutiennent des organisations terroristes (CEDH, 10 novembre 2020, Sabuncu et a. c/ Turquie, n°23199/17). De même, un journaliste suspecté de faits terroristes ne peut être sanctionné s’il exerçait uniquement sa liberté d’expression (CEDH, 24 novembre 2020, Sik c/ Turquie, n°36493/17). Enfin, une participation à une manifestation d’opposition ne constitue pas une infraction de terrorisme (CEDH, 19 janvier 2021 Tas c/ Turquie, n°72.17).

Dans ces arrêts, la CEDH rappelle donc que la privation de liberté est une mesure qui doit être particulièrement justifiée, et qui ne peut résulter de simples soupçons, surtout en matière de terrorisme. Ce n’est pas le droit national qui a posé problème dans ces exemples, mais son application trop précipitée, effectuée dans un souci de sécurité, mais qui a ce faisant outrepassé les dispositions de la CEDH.

 

  1. Procès équitable

 

  1. Principes généraux (article 6 §1 CEDH) : Matière pénale en Islande
    Comment s’appliquent les critères Engel en pratique ?

Pour que le « droit à un procès équitable » soit appliqué en matière pénale, trois critères, « les critères Engel », doivent être étudiés :

Premièrement, « l’infraction doit pouvoir être qualifiée en droit interne ». Le deuxième critère se réfère à la « nature de l’infraction », et le troisième au degré de « sévérité de la sanction » (CEDH, 8 juin 1976, n°5100/71, Engel c/ Pays-bas).

Ces critères sont ressortis d’une volonté de distinguer le droit pénal du droit disciplinaire, pour que l’un n’empiète pas sur l’autre.

Dans un arrêt rendu par la Cour (22 décembre 2020 Jonsson et Halldor Hall c/ Islande n°68273/14), cette dernière a donné un exemple, au regard des faits de l’espèce, d’une infraction qui ne revêtirait pas un caractère pénal au vu des critères Engel.

Il était question en l’espèce de plusieurs avocats de la défense qui ont refusé de reprendre une audience, alors que le juge les avait invités à la reprendre. Des amendes ont donc été prononcées à leur encontre pour le motif suivant : « atteinte à l’autorité de la justice ».

Les avocats ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme en invoquant l’article 6 de la Convention prévoyant que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

La CEDH applique les critères Engel à ces faits, et déclare la requête irrecevable : les amendes infligées, quoique d’un montant élevé, ne font pas partie de la sphère pénale. En effet, aucune peine de prison n’a été prononcée, une telle sanction n’est pas inscrite au casier judiciaire des avocats, et s’ils ne règlent pas ces amendes, leurs sanctions ne peuvent être transformées en des peines privatives de liberté.

Le degré de sévérité de la sanction n’est pas donc pas spécialement élevé.

 

  1. Principes généraux (article 6 §1) : Tribunal établi par la loi en Islande
    La nomination irrégulière d’un magistrat porte-elle atteinte au droit au procès équitable ?

Dans un arrêt portant sur la nomination de magistrats en Islande, la CEDH a pu rappeler les principes applicables en matière d’établissement d’un tribunal, et notamment l’indépendance de ses membres (CEDH, gr. Ch., 1er décembre 2020, n°26374/18, Astradsson c/ Islande).

En l’espèce, le ministre de la Justice avait refusé les nominations de certains magistrats au profit d’autres, alors qu’un juge nommé irrégulièrement influe forcément sur le droit du requérant à avoir accès à un « tribunal établi par la loi », selon l’article 6 paragraphe 1 CEDH.

La Cour considère que le critère selon lequel un tribunal doit être « établi par la loi » implique deux fondements : la base légale générale et le droit interne. Ce critère vise à éviter une discrétion arbitraire de l’exécutif, en séparant les pouvoirs, tout en gardant une interaction nécessaire.

Selon la CEDH, plus l’importance de la juridiction dans l’organisation judiciaire est haute, plus il est important de « nommer les juges selon leur mérite ». En effet, si un juge est nommé irrégulièrement, cela entache toute la procédure, et porte nécessairement atteinte aux droits du requérant, peu importe si ce juge a influé sur la décision ou non.

La Cour a donc considéré que « si l’irrégularité alléguée dans une affaire donnée était d’une gravité telle qu’elle a porté atteinte aux principes fondamentaux susmentionnés et compromis l’indépendance de la juridiction en question ».

Trois critères sont dégagés pour déterminer la gravité d’une irrégularité, et si celle-ci a pu affecter le procès : il faut qu’il y ait eu une violation manifeste du droit interne, que l’irrégularité soit telle qu’elle ait empêché le pouvoir judiciaire d’accomplir sa mission sans ingérence, et enfin, une absence de contrôle des juridictions nationales.

En l’espèce, la Cour conclue que l’irrégularité a bien porté atteinte au droit du requérant à un procès équitable.

  1. Procès équitable – Présomption d’innocence (article 6 §2) : Moldavie.
    Est-ce que l’acceptation d’une loi d’amnistie renverse la présomption d’innocence ?

Un arrêt portant sur un licenciement décidé sur la base du dossier pénal du salarié a donné l’occasion à la CEDH de préciser le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 de la CEDH (CEDH, 20 octobre 2020, n°13112/07, Gutu c/ République de Moldova).

En l’espèce, le suspect avait accepté de bénéficier d’une loi d’amnistie. Son employeur l’avait licencié en considérant que cet acte renversait la présomption d’innocence.

La Cour sanctionne ce licenciement : la présomption d’innocence ne peut être renversée par un acte d’amnistie, qui n’établit pas la culpabilité du prévenu : « il ne ressort pas non plus avec certitude du libellé de ces dispositions que l’acceptation par un suspect de l’application à son égard de l’amnistie équivalait à une reconnaissance de culpabilité ».

La culpabilité du prévenu n’ayant donc pas été établie par son acceptation de cet acte d’amnistie, la Cour a sanctionné les juridictions internes, qui avaient affirmé le bien-fondé de son licenciement.

 

  1. Procès équitable – Droits de la défense (article 6 §3) : Grèce
    Un déséquilibre entre les parties lors de l’audience doit-il nécessairement être compensé ?

La CEDH a pu rappeler l’importance des droits de la victime et de l’accusé, dans un arrêt portant sur une infraction sexuelle sur mineur (CEDH, 14 mai 2020, n°78085/12, Papadopoulos c/ Grèce).

Il convient de concilier les droits de la défense avec les mesures prises pour protéger la victime. En l’espèce, le fils mineur du requérant, entendu en qualité de témoin, était absent lors de l’audience, mais ses déclarations avaient été lues intégralement.

L’impossibilité pour le requérant d’interroger ce témoin a été compensée, selon la Cour, par divers éléments : notamment, il aurait pu demander une confrontation audiovisuelle, et principalement, la déposition était certes importante mais pas le seul élément considéré par la cour interne dans sa condamnation. En l’espèce, la CEDH conclue que l’équité globale a été respectée, et le requérant n’a pas subi de préjudice.

La CEDH se concentre donc sur « l’équité globale » qui doit être assurée entre les parties, et admet une compensation entre les parties en cas de déséquilibre des armes.

 

  1. Légalité des délits et des peines (article 7 CEDH) – Avis consultatif : Arménie
    La technique de la législation par référence est-elle envisageable selon la Convention européenne des droits de l’Homme ?

Dans un avis consultatif rendu le 29 mai 2020, dont le numéro de pourvoi est le n°P16-2019-001, la Cour explique que la méthode de la « législation de référence », c’est-à-dire la possibilité pour une personne ayant commis une infraction de comparer son comportement à une norme référente et une norme référée, n’est pas incompatible avec les dispositions de l’article 7 CEDH, qui établit qu’il n’y a pas de peine sans loi.

La technique de la législation de référence consiste à intégrer dans des dispositions légales de fond des renvois à d’autres dispositions, dans le but de donner une définition plus complète de l’infraction.

Cependant, il ne faut pas que la norme à laquelle il est fait référence, même si elle se trouve plus élevée hiérarchiquement que la norme référente, étende la portée de l’incrimination.

De plus, la Cour consacre le « principe de concrétisation » : « pour établir si, aux fins de l’art. 7 de la Convention, une loi adoptée après la commission présumée d’une infraction est plus ou moins favorable à l’accusé que la loi qui était en vigueur au moment des faits allégués, il convient de tenir compte des circonstances particulières de l’espèce ».

La CEDH détermine ici comment apprécier la rédaction de la loi pénale et son application dans le temps, sans pour autant se prononcer sur les faits de l’espèce.

 

  • Respect de la vie privée et familiale (article 8 CEDH)

 

  1. Interdiction de territoire – Suisse
    Comment un Etat peut-il justifier une expulsion de territoire ?

La CEDH consacre le droit des Etats contractants d’expulser une personne de leur territoire, mais uniquement si ces mesures sont « nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire être justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi » (CEDH, 7 juillet 2020, n°62130/15, K.A. c/Suisse).

La Cour insiste sur l’importance des circonstances et de la proportionnalité de la mesure par rapport du but poursuivi. En l’espèce, un homme a été condamné pour infraction à la législation sur les stupéfiants. La Cour ayant relevé additionnellement que le mis en cause ne fréquentait sa femme que rarement, que l’interdiction de rentrer sur le territoire ne durait que 7 ans, avec des dérogations possibles, elle a pu en conclure que la Suisse a justifié sa mesure d’éloignement.

La Cour a eu l’occasion de s’exprimer plus avant sur ce sujet quelques mois plus tard (CEDH, 8 décembre 2020, n°59006/18, M. M. c/ Suisse).

En l’espèce, un homme a été condamné pour agression sexuelle sur mineur, assortie de la découverte d’éléments pédopornographiques sur son téléphone, ainsi qu’une consommation d’alcool et de stupéfiants. De plus, le mis en cause n’avait pas fourni d’effort d’insertion en Suisse.

La CEDH approuve dès lors l’interdiction de territoire prononcée, étant donné le risque de récidive.

Cependant, la Cour saisit cette occasion pour rappeler la nécessité absolue de vérifier la proportionnalité de la mesure, et l’obligation pour l’Etat de démontrer « des raisons très solides pour justifier l’expulsion ».

 

  1. Déchéance de nationalité – France
    Comment un Etat peut-il justifier une déchéance de nationalité ?

La déchéance de nationalité concerne le droit à la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention, car la nationalité est un élément d’identité important.

Dans un arrêt portant sur des faits d’association de malfaiteurs en vue de commettre un acte de terrorisme, la Cour a pu se prononcer sur la légalité d’une telle sanction (CEDH, 25 juin 2020, n°52273/16, Ghoumid et a. c/ France).

En l’espèce, la déchéance avait été prononcée plus de 10 ans après les faits, en opposition avec l’article 25-1 du Code civil, lequel prévoyait à cette date un délai maximal de 10 ans pour prononcer cette déchéance. Cependant, les autorités administratives s’étaient prévalues d’un texte postérieur aux faits, qui étendait le délai jusqu’à 15 ans. La CEDH a conclu que cette application était bien fondée, d’autant plus que « les requérants ont bénéficié de garanties procédurales substantielles », et qu’ils avaient tous une deuxième nationalité.

Dans la même affaire, la cour a aussi pu se prononcer sur la question de savoir si cette mesure de déchéance de nationalité équivalait à sanctionner les mêmes faits une deuxième fois. Elle a refusé cette interprétation, au regard de trois éléments : la mesure est administrative en droit français et donc de nature différente à la sanction pénale ; la mesure a une dimension symbolique, en ce qu’elle punit un manque de loyauté vis-à-vis de la France ; la déchéance de nationalité punit « des comportements qui, s’agissant d’actes terroristes, sapent le fondement même de la démocratie ».

La déchéance de nationalité n’équivaut donc pas à une expulsion du territoire, mais reste soumise à la même exigence de proportionnalité.

 

  • Liberté d’expression (article 10 CEDH)

 

  1. Appel au boycott- France
    Y-a-t-il une différence entre un appel à la différence de traitement et un appel à la discrimination ?

Le boycott étant une forme d’expression comprise dans la liberté d’expression, il est donc protégé par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Cependant, la CEDH a pu rappeler que les circonstances des faits déterminent l’application de cette liberté (CEDH, 11 juin 2020, n°15271/16, Baldassi et a. c/ France).

Dans les faits, il s’agissait de militants ayant appelé au boycott de produits israéliens. Ils ont été poursuivis pour provocation à la haine raciale.

La CEDH conclue qu’en l’espèce, le traitement différencié des boycotteurs était injustifié, car ils étaient coupables d’appel à la différence de traitement des produits israéliens, et non pas d’un appel à la discrimination.

Il était donc important de différencier l’appel à la discrimination de l’appel à un traitement différencié : la Cour distingue ces faits de ceux d’un arrêt datant de 2009, où un maire avait appelé au boycott des produits israéliens pour dénoncer la politique du Premier ministre (CEDH, 16 juillet 2009, n°10883/05).

En effet, la condamnation des boycotteurs français reposait sur les mauvaises bases : le droit français interdit bel et bien « tout appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique », mais les juges internes ont décidé de qualifier ce boycott d’appel à la discrimination. La CEDH réaffirme une fois de plus la nécessité de produire une motivation circonstanciée.

 

  1. Dénonciation calomnieuse – France
    La commission d’une infraction est-elle aggravée si l’auteur aurait dû avoir connaissance de l’illégalité ?

Le condamné avait adressé une lettre mensongère au président de l’Autorité des Marchés Financiers, proclamant par la suite qu’il ne savait pas qu’il pouvait être poursuivi pour l’infraction de dénonciation calomnieuse (CEDH, 26 mars 2020, n°5936/16, Tête c/ France). La CEDH effectue un contrôle de proportionnalité, car « dénoncer un comportement prétendument illicite devant une autorité est susceptible de relever de la liberté d’expression au sens de l’art. 10 de la Convention ».

La CEDH relève lors de ce contrôle que le requérant ne pouvait prétendre ne pas être au courant de ces dispositions spécifiques, car étant avocat, il était censé connaître l’article 226-10 du Code pénal, portant sur les dénonciations calomnieuses.

La Cour de cassation est sanctionnée pour son ingérence dans la liberté d’expression du requérant : celle-ci aurait dû faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité, qui aurait pris en compte l’infraction, les circonstances l’entourant, et la liberté d’expression de l’article 10 de la Convention.

 

  1. Parlementaires – Turquie
    Y-a-t-il une limite à la liberté d’expression des parlementaires ?

Selon la CEDH, la seule limite à la liberté d’expression des parlementaires se trouve dans les appels à la violence.

En effet, dans un arrêt portant sur des réformes incriminantes passées par le gouvernement turc pour se protéger de l’opposition, la Cour a pu rappeler que « la Cour estime important de protéger la minorité parlementaire de tout abus de majorité », dans le respect de certaines limites (CEDH, gr. Ch., 22 décembre 2020, n°14305/17, Demirtas c/ Turquie (n°2)).

La Cour rappelle également l’importance du droit de vote, ou du droit de se porter candidat aux élections.

 

  1. Double degré de juridiction (Protocole 7, article 2 CEDH)
    Comment évaluer les exceptions au droit à un double degré de juridiction ?

Dans une affaire de violation de dispositions tendant à prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la Cour a pu expliquer davantage les critères Engel, à savoir ce qui constitue matière pénale, en se concentrant sur le droit à un double degré de juridiction, c’est-à-dire à ce qu’une affaire soit examinée par une juridiction supérieure après un premier jugement (CEDH, 30 juin 2020, n°50514/13, Iglesias c/ Espagne). En l’espèce, le double degré de juridiction n’aurait pas été respecté.

La CEDH s’interroge tout d’abord sur la disposition de la loi espagnole violée en l’espèce et son caractère pénal. Elle constate alors que ces faits constituent une « infraction administrative » en droit espagnol, avant de constater que la disposition ne détaille pas assez son champ d’application, et reste générale vis-à-vis des personnes concernées. Pourtant, le « bien juridique protégé » par la disposition pourrait avoir tant une dimension administrative qu’une dimension pénale. Enfin, la Cour se penche sur le fait que le montant de l’amende appliquée varie en fonction de la gravité de l’infraction, ce qui reviendrait à donner à la disposition de loi une dimension pénale.

Le double degré de juridiction s’applique, selon l’article 2 du protocole 7 de la Convention, à toute infraction qui n’est pas « mineure ». La CEDH relève plusieurs critères pour décider si une infraction est « mineure » : il faut par exemple prendre en considération l’existence d’une peine de prison, et il faut également considérer les faits de l’affaire. En l’espèce, la disposition de loi a un « caractère pénal intrinsèque », et le montant de l’amende équivaut à la totalité des économies de l’auteur des faits, alors même qu’il est démontré qu’il n’était pas forcément coupable de blanchiment.

La Cour en conclut que les autorités avaient saisi tous les fonds du mis en cause, et en l’absence de contrôle de proportionnalité, l’infraction constatée ne peut pas être vue comme « mineure ». Dès lors, « l’exception au droit à un double degré de juridiction en matière d’infractions mineures, prévue par le § 2 de la disposition invoquée, n’est donc pas applicable dans les circonstances particulières de la présente affaire », et l’Espagne se voit condamnée.