Prescription glissante : Faut-il étendre ce mécanisme à d’autres infractions sexuelles graves ?

Prescription glissante : Faut-il étendre ce mécanisme à d’autres infractions sexuelles graves ?

Une exception légale pour le viol sur mineur

 

Depuis la loi du 21 avril 2021, l’article 7 du Code de procédure pénale prévoit un mécanisme inédit : la prescription glissante en matière de viol sur mineur.

Concrètement, lorsqu’un auteur de viol sur mineur commet, avant l’expiration du délai de prescription de ce premier fait, une nouvelle infraction sexuelle sur un autre mineur, la prescription du premier viol est suspendue.

Ce dispositif vise à mieux protéger les victimes de violences sexuelles, dans un contexte où le silence, la peur et les blocages psychologiques retardent souvent la révélation des faits.

Mais cette avancée soulève une interrogation : le bénéfice de la prescription glissante doit-il rester réservé au seul viol sur mineur ?

 

Une protection inégalitaire des victimes ?

 

En l’état actuel du droit, ce mécanisme n’est applicable qu’au viol sur mineur, à l’exclusion :

  • Des agressions sexuelles (même graves) sur mineur,
  • Des violences sexuelles sur majeurs,
  • Des violences physiques répétées ou conjugales.

 

Une telle restriction soulève plusieurs limites :

  • Deux victimes d’infractions comparables peuvent bénéficier de délais d’action radicalement différents, simplement en fonction de l’âge au moment des faits.
  • Un agresseur multirécidiviste pourrait échapper à la justice pour des faits anciens, même en cas de récidive avérée, s’il s’agit de victimes majeures.

 

Or, la gravité de l’infraction et la récurrence des comportements doivent logiquement primer sur la qualification stricte ou l’âge de la victime, dans une logique de cohérence du droit pénal.

 

Une extension justifiée au regard des enjeux de société

 

L’évolution de la parole des victimes – notamment depuis le mouvement #MeToo – a mis en lumière le temps nécessaire pour dénoncer les violences sexuelles, qu’elles concernent des enfants ou des adultes.

Certaines victimes mettent plusieurs décennies à parler, souvent lorsque d’autres témoignages apparaissent ou que l’auteur est impliqué dans une nouvelle affaire.

 

Dans ce contexte, étendre la prescription glissante à d’autres infractions sexuelles graves (agressions sexuelles, viols sur majeurs) permettrait :

 

  • De mieux lutter contre les auteurs en série,
  • De valoriser la parole différée des victimes,
  • D’éviter des classements sans suite uniquement fondés sur le temps écoulé.

 

Cela contribuerait également à une plus grande équité devant la justice, en assurant un traitement cohérent des faits de même nature.

 

Mais une extension juridiquement risquée ?

 

Toutefois, une telle réforme poserait plusieurs défis juridiques :

 

  1. Le principe de légalité pénale impose que les règles de prescription soient claires, prévisibles et strictement interprétées.
  2. Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme pourraient y voir une atteinte excessive à la sécurité juridique si la prescription devient trop flexible ou incertaine.
  3. Enfin, certains auteurs s’inquiètent d’un glissement vers un droit pénal de l’émotion, où le temps long de la mémoire individuelle remplacerait les bornes fixes de l’action publique.

 

Et surtout comment enquêter et obtenir la manifestation de la vérité si longtemps après les faits ?

 

Conclusion : une réforme à manier avec prudence

 

L’extension du mécanisme de la prescription glissante à d’autres infractions sexuelles est une question  qui se pose sur le plan humain et sociétal.

 

Mais elle prévoir des risques, et s’accompagner de garanties procédurales solides, afin d’assurer un équilibre entre effectivité de la répression et protection des droits fondamentaux.