Peut-on engager la responsabilité d’un agent de l’État pour une procédure pénale trop longue ?

Peut-on engager la responsabilité d’un agent de l’État pour une procédure pénale trop longue ?

Une lenteur judiciaire qui interroge les droits fondamentaux

Il n’est pas rare qu’un justiciable soit confronté à une procédure pénale qui s’étire sur de nombreuses années, parfois plus d’une décennie. L’instruction piétine, les actes d’enquête tardent, et les décisions se font attendre. Face à cette situation, une question revient souvent : peut-on tenir un agent de l’État – magistrat, greffier ou enquêteur – personnellement responsable de cette lenteur ?

La réponse est nuancée : non, on ne peut pas engager directement la responsabilité d’un agent de l’État pour la durée excessive d’une procédure. Mais il est possible d’engager la responsabilité de l’État lui-même, au titre d’un dysfonctionnement du service public de la justice.

 

Le principe : une responsabilité de l’État, non des individus

En droit français, la justice est rendue au nom de l’État. Les magistrats et agents judiciaires bénéficient donc d’une immunité fonctionnelle : ils n’engagent pas leur responsabilité personnelle pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, sauf exception très étroite (faute personnelle détachable du service).

En revanche, si la procédure a duré de manière manifestement excessive, l’État peut être tenu responsable, en application de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, issu de la loi du 5 juillet 1972 :

L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. […] Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice.

La lenteur excessive d’une instruction pénale, sans justification sérieuse au regard de la complexité du dossier, peut constituer un déni de justice, même sans démonstration d’une faute lourde.

 

Une jurisprudence constante en faveur du droit à un délai raisonnable

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour de cassation rappellent régulièrement que le droit à un procès dans un délai raisonnable est un principe fondamental de l’État de droit (article 6 -1 de la Convention EDH).

CEDH, Capuano c. Italie, 25 juin 1987 : une durée de procédure excessive constitue en soi une violation du droit au procès équitable.

Le juge national peut donc être saisi pour obtenir la réparation d’un préjudice moral ou matériel, causé par l’attente injustifiée, les conséquences professionnelles ou les troubles dans les conditions d’existence.

 

Quelle démarche engager ?

  1. Saisine du Tribunal judiciaire de Paris

La responsabilité de l’État pour dysfonctionnement de la justice relève exclusivement du Tribunal judiciaire de Paris. Le demandeur doit :

  • Démontrer la durée anormale de la procédure (ex. : plus de 10 ou 15 ans sans avancée notable) ;
  • Justifier d’un préjudice personnel, direct et certain (angoisse, atteinte à la vie privée, impossibilité de tourner la page…) ;
  • Et expliquer pourquoi cette durée est injustifiée, au regard de la complexité et du volume de l’affaire.

L’action est dirigée contre l’Agent judiciaire de l’État (AJE), représentant de l’État devant les juridictions civiles.

  1. Saisine éventuelle de la CEDH

Si les recours internes sont épuisés, il est également possible de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, dans un délai de 4 mois à compter de la dernière décision. La CEDH peut condamner l’État à verser une indemnité pour violation du droit à un délai raisonnable.

En pratique : pas de responsabilité directe de l’agent judiciaire

Il peut être tentant, pour un justiciable dont le dossier est resté bloqué pendant quinze ans, de pointer la responsabilité du magistrat instructeur. Pourtant, ce n’est juridiquement pas possible. La lenteur relève du fonctionnement global du service public de la justice, et non d’un manquement personnel d’un agent.

Il ne s’agit pas d’un oubli ponctuel ou d’un acte malveillant (ce qui relèverait d’une faute personnelle), mais d’un dysfonctionnement structurel ou organisationnel. Et cela, seul l’État peut en répondre.

 

Conclusion : oui, l’État peut être poursuivi pour la durée excessive d’une procédure, mais pas son agent

Le justiciable victime d’une procédure anormalement longue dispose bien d’un recours pour obtenir réparation, mais il doit s’adresser à l’État, non à l’agent.

C’est un principe fondamental de notre droit : la responsabilité des institutions prime sur celle des individus, dès lors que ceux-ci agissent dans le cadre de leurs fonctions.

 Un conseil : toute situation de procédure pénale inactive depuis plusieurs années doit faire l’objet d’une analyse par un avocat. Celui-ci pourra envisager une action en responsabilité contre l’État ou une relance de l’instruction.