07 Mar Nullité de la mise en examen
En droit français, le législateur a prévu à l’article 79 du Code de procédure pénale qu’une information judiciaire doit obligatoirement être diligentée en matière de crime. Néanmoins, elle est facultative en matière de délit et exceptionnelle en matière de contravention.
Dans le cadre de cette information judiciaire, la personne mise en cause peut être placée sous le statut de mis en examen. Depuis la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, l’article 80-1 du Code de procédure pénale impose que « le juge d’instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ».
La doctrine a eu l’occasion de préciser ce qu’il faut entendre par indices graves ou concordants « plusieurs, soit au minimum deux indices accusateurs qui, pour donner une vraisemblance objective à la participation de l’intéressé aux faits reprochés, doivent être soit graves c’est-à-dire présenter une consistance telles qu’ils apportent en eux-mêmes la vraisemblance exigée, soit concordants, la vraisemblance résultant de leur recoupement alors même qu’ils ne présenteraient pas en eux-mêmes une consistante suffisante » (S. Guinchard et J.Buisson, Procédure pénale, 4e éd., LexisNexis, n°1746).
Ainsi, selon S.Guichard et J.Buisson, « la simple accusation, non objective d’une victime ou d’un témoin entendus par le juge ou un OPJ en exécution d’une commission rogatoire ne suffit pas, à défaut d’un autre élément venant la corroborer, pour mettre en examen la personne accusée ».
Pour comprendre ce qu’il faut entendre par « indices graves ou concordants », ci-dessous se trouve une liste de décisions où les juges ont considéré qu’il existait des indices graves ou concordants.
Indices graves ou concordants :
CA Montpellier, ch. instru., 19 févr. 2015, n° 2014/01144 (attouchements sexuels) :
- La constatation, de l’état de la victime par des témoignages
- Le rapport du médecin qui l’a examiné
- L’enquête réalisée sur les lieux démontrant la possession par le masseur de revues à caractère pornographique zoophile qui témoignent d’une approche singulière de la sexualité
CA Montpellier, 27 avril 2017, 17/00237 (injure et diffamation) :
- Les propres déclarations du mis en examen qui a confirmé lors de son audition avoir tenu certains des propos figurant dans les pièces versées par les parties civiles
CA Montpellier, 30 juin 2016, n°16/00390 (tentative d’assassinat) :
- Les déclarations de M.Y (deuxième mis en examen) qui désigne M.X (premier mis en examen) comme ayant participé aux faits commis
- L’exploitation de la téléphonie qui montre que M.X a été en contact le jour des faits avec les autres mis en examen et que son téléphone a déclenché des relais couvrant le lieu des faits sur la même période de temps
- Le rapprochement avec une autre procédure décrivant une agression avec arme impliquant les mis en examen agissant selon un mode opératoire se rapprochant de celui utilisé lors des faits
CA Montpellier 06 novembre 2014,14/00550 (complicité de trafic de stupéfiants) :
- 10 sachets troués similaires à ceux habituellement utilisés pour le conditionnement de cocaïne ont été retrouvés chez l’auteur principal de l’infraction
- La nature des relations liant l’auteur principal et le mis en examen
- Le mis en examen a régulièrement accompagné l’auteur principal en voiture à différents lieux où se sont déroulées les transactions
CA Aix-en-Provence, 4 avril 2006, CT0097 (recel de vol de véhicule) :
- Le mis en examen avait connaissance de l’achat des véhicules par l’intermédiaire de ses parents (auteurs de l’infraction principale) dont il n’ignorait pas le passé délinquant
- Le mis en examen ne pouvait ignorer que le véhicule évalué par sa mère 150 000 francs avait été payé 20 000 francs puis revendu 98 000 francs aux parties civiles
- Il ne pouvait ignorer que l’annonce de la revente avait été passée au nom de sa mère ; le mis en examen avait exigé le virement immédiat du produit de la vente
Crim 29 juin 2021 n°21-82.232 (trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs) :
- L’exploitation des sonorisations de M.A (deuxième personne mise en cause) a mis clairement en cause le mis en examen le citant nommément
- M.A s’est expliqué sur le rôle du mis en examen en garde à vue
- Le carnet saisi au domicile du mis en examen a permis de découvrir les noms d’intermédiaires cités par M.A comme étant des contacts du mis en examen
Crim 08 juin 2021, n°21-81.839 (assassinat) :
- Témoignages faisant état de relations compliquées entre les deux époux
- Enregistrement dans lequel le mis en examen menace sa femme de défenestration
- Déclarations des ex-compagnes du mis en examen évoquant sa violence envers elles
- Déclarations des parents de la défunte qui énonce sa violence envers elle
- Déclarations du mis en examen qui admet avoir giflé sa femme pendant la vie commune
Crim 20 juin 2018, 14-80.543 (complicité d’enlèvement et de séquestration) :
- Le fils de la victime mettait formellement en cause l’organisation dont le mis en examen était le chef, comme ayant recruté 4 hommes pour enlever son père et faire pression sur lui pour qu’il rende la marchandise contenue dans le « SCUBA III »
- Le mis en examen reconnaissait connaître le fils de la victime qu’il aurait connu par l’intermédiaire d’un « Karim », ce prénom apparaissant à deux reprises au cours de la procédure
- Lors de son interpellation, le mis en examen avait un ordinateur portable dans lequel était retrouvé une documentation relative au Scuba III et à son propriétaire.
Crim 05 juin 2018, n°17-87.524 (complicité de harcèlement moral au préjudice de salariés) :
- La priorité du mis en examen est de réussir un nouveau projet ayant pour conséquence le départ d’un nombre important de salariés ; cette volonté est corroboré par un document « Réussir ACT « (ACT étant le nom du projet)
- La participation du mis en examen à 2 synthèses des tables rondes dont une en présence du responsable du programme. Cette synthèse évoque la nécessité d’organiser 4 500 départs internes chaque année et fait état de véritables stratégies visant à brusquer un peu les salariés pour favoriser la mobilité externe forcée
Crim 20 décembre 2017 n°17-81.758 (dénonciation calomnieuse) :
- Le mis en examen a déposé plainte contre la victime pour des violences volontaires par conjoint avec ITT inférieur à 8 jours commises le 9 mai 2014 conclue par une décision de relaxe
- Il a dénoncé à la brigade des mineurs les 18 et 26 juin 2014 et le 10 juillet 2014 des faits de détention d’images à caractère pédopornographique, des faits d’agressions sexuelles et viols sur mineurs. Les faits ont été classés sans suite
- Le 4 septembre 2014, le mis en examen a dénoncé des faits d’agressions sexuelles et viols sur mineurs de 15 ans
- Il a dénoncé des faits d’usurpation de titre ayant conduit à un classement sans suite pour « absence d’infraction »
Assemblée plénière 10 novembre 2017 n°17-82.028 (chantage et extorsion de fonds) :
- Le mis en examen était en possession de 2 enveloppes contenant chacune 40 000 euros en espèce et des exemplaires signés par les trois intéressés de l’engagement de renonciation à la publication du livre projeté.
Crim 02 novembre 2017 n°16-87.260 (infraction à la législation sur les stupéfiants) :
- L’un des principaux mis en cause, M.Y rendait fréquemment visite au mis en examen selon un mode opératoire répétitif, vraisemblablement dédié à son trafic
- Une somme de 15 000 euros en espèce a été découverte chez le mis en examen
- Ce dernier a déclaré conserver cette somme pour quelqu’un dont il ne voulait pas donner le nom
- Le mis en examen n’a pas pu fournir d’explication sur un document découvert dans une enveloppe recensant des données évocatrices d’une comptabilité ; il a admis avoir été en contact avec M.Y depuis 2015 pour des échanges de cannabis
Crim 27 juillet 2016 n°16-83.024 (violences) :
- Les individus mis en cause, dont le mis en examen décris par les témoins se trouvaient au même moment au même endroit aux prises avec la victime et chacun d’eux avaient avec la victime un contentieux lié à des salaires non payés pour des travaux non déclarés
- Les blessures supportées par la victime résultent, selon les constatations médicales, de l’utilisation d’une arme, du type de celle décrite par la victime
- L’existence de blessures supportées par le mis en examen pouvait résulter de l’utilisation d’un objet tranchant
Crim 19 janvier 2015, n°15-81.038 (escroquerie en bande organisée) :
- L’ensemble des investigations réalisées par le juge d’instruction
- L’audition du mis en examen au cours de sa garde à vue
Cass. crim 08 juillet 2015, n°15-81.192 (viol et administration de substances nuisibles) :
- Les aveux passés devant les enquêteurs
- La concordance des déclarations de deux plaignantes
- Les nombreuses similitudes qui pouvaient être relevées dans la façon d’opérer de leur agresseur
- La désignation formelle du mis en examen, que les victimes connaissaient de longue date
- Le témoignage d’une partie civile qui a déclaré avoir constaté l’état second dans lequel s’était trouvé sa mère le soir des faits alors qu’ils dînaient avec le mis en examen
- Le témoignage d’un témoin à qui une des victimes s’était confiée
- Le résultat des expertises toxicologiques réalisées sur les victimes révélant l’administration de zolpidem
- Les informations transmises par la caisse primaire d’assurance-maladie révélant qu’à cinq reprises ce produit avait été prescrit au mis en examen entre le 18 août 2007 et le 10 août 2009
Cass. crim, 19 mai 2015, n°14-88.306 (viols et agressions sexuelles aggravées) :
- Les déclarations de la plaignante
- Les témoignages de ses parents et de ses frères
Cass crim. 18 mars 2015 n°14-86. 680 (violation du secret professionnel et du secret de l’instruction) :
Le mis en examen a produit dans une instance civile des pièces d’une procédure pénale d’instruction distincte en cours, sans y avoir été autorisée, ni même avoir sollicité une telle autorisation
Absence d’indices graves ou concordants
Cass. crim 16 mars 2021, n°20-87.092 et Cass.crim 01 juin 2021 n°21-81.837 :
La constatation de l’existence de raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis les infractions reprochées ne permet pas de déduire l’existence d’indices graves ou concordants de sa participation à ces mêmes faits, cette dernière exigence étant plus stricte que la première.
Cass. crim, 28 juin 2016, n° 15-86.946 (abandon matériel ou moral de mineurs et homicide involontaire) :
Rien ne permettait de penser, en l’état de l’information, que le père aurait pu se réveiller plus tôt, s’il n’avait pas été alcoolisé, rien ne permet d’affirmer qu’une personne, dans un état normal, endormie dans son premier sommeil dans une chambre dont la porte était fermée aurait réalisé plus tôt qu’un incendie s’était déclaré dans une chambre également fermée, située de l’autre côté du couloir.
Cass. crim 1er octobre 2003, n°03-82.909 (homicide involontaire) :
Rien ne permettait, en l’état de l’information, de penser que leur maladie ait trouvé son origine dans la consommation de viande servie par les restaurants plutôt que dans les autres sources alimentaires des victimes (les victimes sont décédées suite à une maladie se transmettant par la voie alimentaire après avoir mangé dans un restaurant).
Cass. crim 14 avril 2015, n°14-85.335 et Cass. crim 11 décembre 2018 n°17-85.871 : (homicides et blessures involontaire, affaire de l’amiante) :
Il n’existait pas d’absence de négligences qui étaient imputables aux salariés dans la surveillance de la réglementation. Les salariés n’avaient pas pu mesurer le risque d’une particulière gravité auquel ils auraient exposé les victimes dans le contexte des données scientifiques de l’époque
Les indices graves ou concordants sont des conditions prévues à peine de nullité et permettent d’annuler les mises en examen injustifiées et arbitraires. Ainsi, si le mis en examen souhaite contester l’existence de ces indices, il peut saisir la chambre de l’instruction.
En ce qui concerne le contrôle de la chambre de l’instruction, dans un arrêt du 27 novembre 2018 (Cass. crim 27 nov. 2018, n°18-83.009), les juges de la Haute Cour ont considéré que la chambre de l’instruction doit se borner à vérifier s’il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne ait pu participer, comme auteur ou comme complice à la commission de l’infraction.
Egalement, dans un arrêt rendu le 14 avril 2015, la Cour de cassation a précisé qu’il appartenait uniquement à la chambre de l’instruction de regarder s’il existait des indices graves ou concordants et de ne pas rechercher s’il existait un lien de causalité certain à ce stade de la procédure.
Lorsqu’elle est saisie d’une demande en nullité, la chambre de l’instruction a uniquement pour rôle de rechercher, de manière objective, s’il existe des indices graves ou concordants permettant de constater l’implication du mis en examen dans la commission de l’infraction. François Cordier a rappelé la problématique principale de ce contentieux en précisant que « le contentieux ne peut porter que sur les indices graves ou concordants et non pas l’existence ou l’absence de charges ».
Enfin, il convient de préciser que l’absence d’indices graves ou concordants n’est pas le seul élément pouvant entraîner la nullité d’une mise en examen. En effet, dans une décision rendue le 12 septembre 2018 (Cass. crim 12 sept. 2018, n°17-87.510), la Cour de cassation a confirmé le prononcé de la nullité d’une mise en examen en raison de l’absence d’un élément constitutif de l’infraction et du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale dans le temps.
En conclusion, pour qu’un individu soit mis en examen, il est nécessaire qu’il existe à son encontre des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’il ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission de l’infraction. En cas de contestation, un recours doit être formé devant la chambre de l’instruction qui devra uniquement vérifier, de manière objective, s’il existe de tels indices.