L’erreur judiciaire : 4 – La place de la victime dans le procès pénal

L’erreur judiciaire : 4 – La place de la victime dans le procès pénal

 

Dans une affaire que nous avons récemment défendue, une fille âgée de 15 ans, dénonce des violences par sa mère. Elle maintient sa déposition devant les policiers, ainsi que devant l’expert psychiatre. Mais lors de l’audience, elle change finalement de version et reconnaît avoir inventé les faits, en raison de désaccords avec sa mère. La mère est alors relaxée.

Sa simple parole a pris une place très importante dans le procès, puisqu’il n’existait aucun témoin des violences alléguées.

La place de la victime, et par conséquence de sa parole, dans le procès peut devenir déterminante quand les preuves matérielles sont inexistantes. C’est souvent le cas lors d’infraction d’atteintes sexuelles, ou de violences intra-familiales.

 

La protection des victimes se heurte parfois à celle des droits de la défense. Or si le procès est important pour la victime, il reste celui de l’accusé. La place de la victime, et sa prise en considération doit donc s’équilibrer avec le respect des droits de la défense et de la présomption d’innocence.

 

 

I – La souffrance de la victime

 

Un courant récent a entraîné une prise en compte grandissante de la souffrance de la victime, à la fois en raison de l’infraction, et du procès même. Ainsi, toute la procédure, du dépôt de plainte à l’exécution d’une peine (si condamnation) peut engendrer de fortes souffrances pour la victime. Celle-ci est replongée sans cesse dans les faits, questionnée sur des détails difficiles à évoquer. La remise en cause de la véracité de ses propos peut être vécu comme de la violence.

 

En outre, les victimes génèrent souvent plus d’empathie de la part du public suivant l’affaire ou en lisant les résumés dans les médias. La représentation d’une affaire dans les médias est souvent présentée par ses victimes.

 

Ainsi la souffrance des victimes est, légitimement, de plus en plus, reconnue. Mais il est nécessaire de limiter la responsabilité du condamné au préjudice résultant directement de l‘infraction.

 

Ainsi le 13 mai 2025, dans le procès pour agression sexuelle envers deux femmes, contre Gérard Depardieu, le Tribunal correctionnel de Paris a reconnu la victimisation secondaire subie par les victimes. Le Tribunal indemnise ici le préjudice moral subit par les victimes en raison de la défense « violente » des avocats de Gérard Depardieu.

 

Pauline DUFOURQ, avocate pénaliste, dénonce l’atteinte aux droits de la défense, ainsi que les dérives que pourrait entraîner la consécration de la victimisation secondaire dans les tribunaux.

 

« Cette extension des mécanismes de responsabilité est là encore extrêmement fragile. En effet, la ligne de défense choisie par un avocat, voire le traitement médiatique d’une affaire, ne saurait entraîner la responsabilité du prévenu, quand bien même ce positionnement pourrait légitimement heurter la victime. »

 

 

II – La parole de la victime

 

On assiste parfois à une sacralisation de la parole de la victime. Pour certains, sa contestation est un sacrilège. Si l’accusé est présumé innocent, la partie civile devient « présumée victime ».

 

Si nous restons loin d’atteindre un point où toute personne remettant en question la parole de la victime tomberait dans l’opprobre, le changement des mœurs demeure évident. Cette remise en question apparaît de plus en plus comme un déni des souffrances de la victime, une forme d’humiliation.

 

Les professionnels du droit, magistrats comme policiers, se retrouvent face à un problème compliqué qui nécessite l’accomplissement d’un équilibre fragile. D’un côté, la victime présumée, qu’on souhaite protéger et ne pas blesser de nouveau. De l’autre, les droits de la défense, qui nécessitent la remise en question de la victime, de façon impartiale.

 

Si la balance penche trop pour l’exercice des droits de la défense, la victime risque d’être psychiquement violentée par la procédure et l’audience, ou même de subir un déni de justice. Si la balance penche trop pour la victime, on risque une erreur judiciaire.

 

C’est ce qui aurait pu se produire dans notre dossier, que nous avons défendu en audience. Sans le retour de la victime sur ses propres témoignages, sa mère aurait été injustement condamnée.

 

III – La parole de l’enfant

 

La Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 prévoit en son article 12 que « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

Ainsi les enfants ont un droit à la parole. Ils doivent pouvoir être entendus sur toutes les questions qui les concerne. Mais leurs opinions ne peuvent qu’être pris en considération avec un certain recul, dû au manque de maturité qui peut résulter de leur jeune âge.

La France a été fortement marquée par l’affaire d’Outreau, qui a entrainé une remise en question de l’accueil des enfants et de leur parole par la justice.

 

La procédure d’audition

Les mineurs sont auditionnés dans une salle spéciale, prévu à cet effet. L’audition est filmée.

Art 706-52 du Code de procédure pénale : « Au cours de l’enquête et de l’information, l’audition d’un mineur victime de l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 [meurtre, torture, viol, agression sexuelles, traite d’humain, proxénétisme…] fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel. Dans les mêmes conditions, l’audition d’un mineur victime de l’une des infractions prévues aux articles 222-33-2-2 [harcèlement] et 222-33-2-3 [harcèlement scolaire] du code pénal peut faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel. »

Cela permet au policier effectuant l’audition de ne pas avoir d’ordinateur, et de pouvoir simplement discuter avec l’enfant. Cela permet aussi de limiter le nombre d’audition, et d’avoir une version plus fidèle de l’audition que les procès-verbaux ordinaires.

A l’issue de l’audition, un procès-verbal fidèle mot à mot à la discussion est rédigé. Le policier peut y ajouter le langage non-verbal (regards, mouvements…).

 

Formation des policiers

Les policiers sont formés à recevoir la parole des enfants. Il leur est conseillé une suite d’étapes pour permettre le meilleur témoignage possible. Il convient donc de commencer par se présenter, et expliquer la procédure à l’enfant, ainsi que les « règles » de la discussion. L’enfant doit savoir qu’il peut ne pas comprendre une question, ou ne pas se souvenir des faits. Il ne doit pas être culpabilisé.

Il n’est pas possible de forcer un enfant qui ne serait pas volontaire à parler. Mais le policier peut proposer de faire venir un autre policier à sa place, ou de fixer un rendez-vous un autre jour.

Les questions posées doivent aller du général aux détails et être ouvertes ou à choix multiples, afin de ne pas influencer la parole de l’enfant.

A la fin de l’audition, le policier explique la suite de la procédure à l’enfant et répond à ses questions.

 

Le discernement

Le crédit donné à la parole d’un enfant dépend de sa capacité de discernement. Celle-ci correspond à sa capacité à comprendre la procédure dans laquelle il se trouve et les faits dénoncés.

En France, le mineur est présumé doté de discernement à partie de 13 ans. Il est présumé ne pas avoir de discernement avant 13 ans. Mais cette présomption peut être renversée quand l’enfant montre un niveau de maturité suffisant.

Art L. 11-1 Code la justice pénale des mineurs : « Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. »

L’absence de discernement n’empêche pas son audition. Cette absence permet juste d’analyser différemment les propos portés.

 

Valeur de la parole de l’enfant

« Si la parole de l’enfant peut être l’élément déclencheur d’une enquête, elle ne doit pas et ne peut pas en être la pièce maîtresse. » L’audition du mineur victime – Chantal Zarlowski

La parole de l’enfant est à prendre en compte, en considérant son âge et sa maturité. Plus l’enfant est jeune, plus ses propos doivent être pris avec précautions. L’enfant peut inconsciemment, ou consciemment, mentir ou altérer ses propos originaux.

La première audition est généralement considérée comme la plus fidèle aux souvenirs de l’enfant, surtout si celle-ci est réalisée peu de temps après les faits. Les études montrent que plus il y a d’auditions, plus celles-ci se contredisent.

 

Conclusion :

 

Il est important de garder la parole de la victime au rang d’élément de preuve et non de manifestation de la vérité. L’accompagnement de la victime doit se faire en dehors du procès, par des professionnels compétents.