04 Août L’erreur judiciaire : 1- étude de cas
L’erreur judiciaire demeure l’un des échecs les plus redoutables de notre système pénal. Si l’enquête a pour objectif de faire la lumière sur les faits et de recueillir des preuves à charge et à décharge, elle n’est pas infaillible. Même menée avec rigueur, elle peut conduire à des conclusions erronées. Un récent dossier de violences familiales, que nous avons eu à défendre, illustre cette réalité.
1 – Les faits
L’affaire commence quand une jeune fille de 12 ans est trouvée dans la rue par des passants, en débardeur et sans chaussures. Un couple, famille d’accueil, la ramène chez eux pour la réchauffer.
La femme témoigne : « j’ai pensé tout de suite à un viol car elle avait tous les stigmates d’une jeune fille violée, l’air hagard totalement sidérée ».
Ils lui donnent un manteau et une paire de chaussures. La jeune fille pleure mais refuse de rentrer chez elle. La police arrive, mais elle refuse de parler. Après plusieurs demandes elle finit par expliquer avoir été frappée par sa mère avec une ceinture et un bâton, après être rentrée en retard. Elle dit que sa famille la « frappe pour un oui pour un non ».
La femme ayant recueillie la jeune fille est auditionnée. Elle décrit le comportement de celle-ci comme : « Elle était en trauma total, elle était en état de sidération. Elle avait le regard hagard, les bras ballants, elle était vraiment froide comme un mort. »
2 – L’audition de la victime :
La jeune fille explique être sortie un petit peu après les cours, et être arrivée en retard à un atelier de théâtre. Elle se serait alors faite « enguelée » par son beau-père et frappée par sa mère.
Son récit est détaillé. Elle décrit des actes très violents de la part de sa mère, physiques comme verbaux. Elle dit avoir été frappée avec une ceinture, et un bâton en bois. Sa mère lui aurait lancé un objet à la figure. Elle dit « je me suis dis que si j’allais restée là j’allais mourir ».
Elle raconte les propos de sa mère : « elle m’a dit qu’elle allait me tuer ». Quand le policier lui redemande si elle s’est faite menacée de mort, elle le confirme.
La jeune fille relate des faits de violences habituelles qu’elle minimise : « Elle m’a déjà mis des coups de pieds et des tartes mais c’est pas vraiment frapper. […) Mme quand elle me frappait avec la ceinture je me disais que ce n’était rien, j’ai eu peur quand elle a ramené le bâton. »
Elle décrit son beau-père comme un complice, qui donne à sa mère le bâton pour la frapper, mais ne la frappe jamais directement.
3 – Les mesures de protection et d’enquête
Dans un entretien téléphonique avec l’ASE, la mère reconnait avoir porté une gifle à sa fille. Le beau-père assure qu’il n’y a pas de violences. Après la gifle, elle se serait mise à courir et serait tombée dans les escaliers en quittant le logement. Ils sont sous le choc.
La jeune fille est placée en foyer afin de garantir sa sécurité.
Un certificat médical est établi 12 jours après les faits. Le médecin de l’unité médico-judiciaire note une tristesse et résignation sur le plan psychologique, et des lésions cutanées qui pourraient être des stigmates de coups de ceinture sur l’avant-bras droit. Lors du rendez-vous, la jeune fille réitère ses propos.
Un deuxième certificat fixe l’ITT à 5 jours.
Une expertise psychiatrique est effectuée. Elle ne relève pas de mythomanie ou affabulation. Elle liste des crises d’angoisse et un état de stress en relation avec les faits subis. Elle relève un ITT psychologique de 8 jours.
Les auditions des témoins, les certificats médicaux, et l’expertise psychologique : tout corrobore les propos de la victime. La mère est placée en garde à vue.
4 – Le procès
Soudainement, peu de temps avant le procès, la jeune fille retire sa plainte et avoue avoir menti et inventé les faits depuis le début.
En conflit avec sa mère, et souhaitant changer de collège et aller vivre avec son père, elle avait trouvé dans cette occasion un moyen de se séparer de sa mère. Ses parents étant séparés, elle ne voyait pas souvent son père. Celui-ci la gâtait beaucoup lors de ses visites.
De plus, la victime avait été harcelée dans son collège, et malgré les sanctions imposées aux auteurs, elle ne s’y sentait pas à l’aise.
Au procès, la mère, auteur présumée, est relaxée.
5 – Conclusion
Ainsi, même si la jeune fille mentait, l’enquête a réussi à obtenir de nombreuses pièces donnant crédibilité à cette version. Rien, dans le déroulement de l’enquête, ne laissait présager une telle révélation. Aucune négligence manifeste, aucune omission. L’enquête avait même fait preuve de diligence et de méthode. Pourtant, elle n’a pas permis de déceler le mensonge, ni de protéger la mise en cause d’une erreur judiciaire imminente.
Le dossier reposait sur sa plainte, les rapports des médecins, la vraisemblance de ses propos, la réitération de ceux-ci et leur aspect détaillé. Ainsi tous les éléments permettant de vérifier ses propos avait été récupérés, et validaient ses allégations.
Ce cas soulève une question essentielle : comment concilier le nécessaire accueil de la parole des victimes avec le principe fondamental de présomption d’innocence ? Faut-il croire sans réserve, ou vérifier sans relâche ? La réponse n’est pas simple. Mais ce dossier rappelle avec force qu’un témoignage, aussi convaincant soit-il, doit toujours être examiné avec recul, rigueur et discernement.