10 Sep Le préjudice d’accompagnement de fin de vie : un nouveau préjudice reconnu ?
Lorsqu’un proche est victime d’un accident, d’une maladie grave ou d’une agression entraînant une fin de vie prolongée, les membres de sa famille peuvent subir une souffrance profonde et spécifique, distincte du simple chagrin lié à la perte. Cette souffrance, liée à l’accompagnement de la victime dans ses derniers instants, est aujourd’hui reconnue comme un préjudice moral autonome, qualifié de préjudice d’accompagnement de fin de vie.
- Un poste de préjudice distinct du préjudice d’affection
Traditionnellement, les proches d’une personne décédée peuvent être indemnisés pour leur préjudice d’affection, c’est-à-dire le chagrin consécutif à la perte.
Le préjudice d’accompagnement de fin de vie, quant à lui, vise à indemniser :
- La souffrance morale spécifique éprouvée durant la période d’agonie ou de fin de vie prolongée,
- L’angoisse, la détresse, et l’impuissance ressenties par les proches,
- Ainsi que le retentissement psychologique provoqué par l’assistance quotidienne à la dégradation de l’état de santé de la victime.
Ce poste est distinct du préjudice d’affection et peut être cumulé avec celui-ci.
- Une reconnaissance jurisprudentielle désormais claire
Cour de cassation : une séparation nette des postes
La Cour de cassation a posé une distinction nette entre ces deux postes de préjudice :
« Le préjudice moral et le préjudice d’accompagnement de fin de vie sont distincts et doivent être évalués séparément. »
(Cass. civ. 2e, 7 avril 2011, n° 10-19.423, inédit)
Dans cette affaire, les ayants droit d’une victime décédée des suites d’une maladie professionnelle liée à l’amiante ont obtenu une indemnisation spécifique pour l’accompagnement de la fin de vie, en sus du préjudice moral. Cette décision illustre le principe de réparation intégrale, en reconnaissant la souffrance vécue avant le décès.
Jurisprudence des cours d’appel : une application concrète
- Cour d’appel d’Amiens, 8 août 2023, n° 22/04735
La cour a reconnu un préjudice d’accompagnement spécifique pour l’épouse d’une victime, soulignant l’existence d’un vécu distinct, bien que léger, et a accordé une indemnisation autonome. - Cour d’appel de Pau, 7 avril 2022, n° 21/00316
La juridiction a jugé que l’indemnisation proposée par le FIVA était insuffisante au regard de la souffrance morale endurée par les proches, et a majoré les sommes allouées au titre de ce poste. - Cour d’appel de Paris, 28 février 2018, n° 16/06183
Les enfants d’une victime hospitalisée dans un état de souffrance extrême durant plusieurs semaines ont été indemnisés pour la souffrance spécifique vécue pendant l’agonie, en plus du préjudice d’affection.
III. Conditions d’indemnisation : des critères précis
Les juridictions exigent une preuve rigoureuse :
- D’une communauté de vie effective avec la victime,
- D’une présence continue ou régulière pendant la fin de vie,
- De troubles psychologiques ou moraux particuliers causés par cette période,
- Et d’une durée significative entre l’événement causal et le décès (hospitalisation, coma, souffrance chronique…).
Le dossier doit être étayé de :
- Témoignages, certificats médicaux,
- Rapports psychologiques,
- Preuves de visite ou de présence régulière (hospitalisation, soins palliatifs…).
- Une indemnisation encore variable
Le montant de l’indemnisation est laissé à l’appréciation souveraine des juges et varie selon :
- L’intensité de la souffrance,
- La durée de la fin de vie,
- La proximité affective et la fréquence de l’accompagnement.
Les montants alloués peuvent aller de 2 000 € à 10 000 €, parfois plus dans les situations particulièrement éprouvantes.
Pour conclure
Le préjudice d’accompagnement de fin de vie est désormais un poste de préjudice autonome, reconnu par les juridictions françaises. Il répond à une volonté de mieux prendre en compte la réalité psychologique vécue par les proches d’une victime gravement atteinte avant son décès.
Cette reconnaissance offre aux avocats la possibilité de mieux défendre les intérêts moraux des familles, à condition de justifier de la spécificité du vécu et de la réalité de l’accompagnement.