02 Juin COUR D’ASSISES / JURES
Être juré d’assise : quel vécu ?
Le jury d’assise, inspiré du modèle anglais, est instauré à la révolution française. Il représente alors l’immiscion du peuple dans la justice, traditionnellement secrète et inquisitoire. Mais dès ses débuts, il pose beaucoup de questions quant à son efficacité : les jurés ne comprennent pas toujours bien la procédure de la Cour d’assise. Ainsi, les débuts du jury d’assise sont marqués de nombreux acquittements « scandaleux ». En effet, les jurés de l’époque n’ont pas de pouvoirs sur les peines. Ils ne jugent que les faits, et la culpabilité. Les peines sont prévues par le Code pénal de 1791. Dès lors, lorsque la peine parait disproportionnée, les jurés sont enclins à déclarer l’accusé innocent, même lorsque sa culpabilité est prouvée, en opposition à la peine jugée sévère. Dans d’autres cas, les jurés étaient perdus dans le système de vote par balles blanches ou noires. Et puisqu’il suffisait de trois balles blanches pour déclarer l’innocence, celle-ci était rapidement acquise. L’étude des verdicts rendus dans 16 départements entre 1792 et 1811 par Robert Allen montre un taux d’acquittement de 45%.
Aujourd’hui, les critères permettant de faire partie des listes sont définis par les articles 254 et suivant du Code de procédure pénale : la nationalité française, 23 ans, et l’inscription aux listes électoral. N’importe qui peut donc être désigné juré. La faiblesse des critères contraste avec la complexité de la tâche. Être juré marque. Il y a un avant et un après : c’est une expérience qui ne peut pas laisser indifférent.
1 : La procédure de sélection des jurés
D’après les inscrits sur listes électoral, le maire effectue un tirage au sort et élimine ceux de moins de 23 ans. « Le maire, en vue de dresser la liste préparatoire de la liste annuelle, tire au sort publiquement à partir de la liste électorale un nombre de noms triple de celui fixé par l’arrêté préfectoral » Art 261 Code de procédure pénal.
Il informe par lettre les tirés au sort, qui peuvent alors transmettre une demande de dispense pour motifs graves s’il y a lieu.
La lise formée est transmise à une commission spéciale qui examine les demandes de dispense et effectue un nouveau tirage au sort sur les noms restants.
Une liste de 35 jurés et 10 suppléants est ainsi formée. Ils sont convoqués 15 jours avant l’audience.
A l’ouverture de chaque procès, un tirage au sort est effectué pour désigner 6 jurés. Le ministère public et l’accusé peuvent chacun récuser les jurés tirés. Les 6 premiers jurés non récusés forment le jury. La phase de récusation peut être surprenante ou mal vécue par les jurés. Ces récusations se fondent souvent sur le genre, le métier, l’âge ou la présentation physique du juré.
2 : Le déroulé du procès
Quand le jury est formé, le procès commence.
La position du juré est difficile. Il peut s’identifier à l’une ou l’autre des parties, qui peuvent éventuellement porter les traits d’une histoire commune. Son devoir est d’être juste et impartial.
Les jurés disposent d’un accompagnement avant le procès, par le biais d’une réunion, et pendant, en la figure du président. Mais ils restent souvent dépourvus face aux responsabilités qui leur incombe. Ils ne connaissent pas les usages de la Cour, les peines généralement données pour telle ou telle infraction, ou encore les moyens de défense souvent utilisés. Beaucoup des jurés ne s’attende pas à la complexité des affaires, et le flou qui y règne. Ils sont tiraillés entre « l’intime conviction » et « le doute profite à l’accusé ».
Les jurés de disposent pas du dossier. Tout est présenté à l’oral. Ils ont simplement un cahier pour prendre des notes. Catherine Papadacci (ça m’intéresse, Témoignage : j’ai été juré aux assises) témoigne « En tout, j’ai noirci 33 pages – et j’écris petit ! ». Les notes prennent beaucoup d’importance, comme seul support pour les jurés qui ne veulent rien oublier.
Beaucoup de jurés témoigne d’anxiété présente pendant la durée des procès, et de difficultés à dormir. Certains gèrent cette angoisse en parlant à leur famille ou leurs proches, parfois en quantité excessive. Ils ressassent les affaires encore et encore, tous les soirs en rentrant chez eux. D’autres s’enferment dans un mutisme, laissant leurs proches dans l’incompréhension. Dans les 2 cas, un fossé se creuse entre juré et non-juré.
3 : Le jugement
Lorsque les débats son finis, le jury se retire et délibère, avec le Président de la Cour et les assesseurs. Ils ne sortent pas tant qu’ils n’ont pas jugé. La responsabilité est lourde, il faut se prononcer non seulement sur la culpabilité, mais aussi sur la peine, s’il y en a lieu. Le président guide la réflexion mais n’essaye pas d’influencer les jurés. Une majorité de 6 est nécessaire pour condamner. Les voix des jurés comptent autant que celles des magistrats.
Ancien juré dans une affaire de viol, François-Xavier Gillibert (Envoyé spécial) raconte la sortie de la salle des délibérés. Il était assis en face de la victime, impuissant face à un verdict qui n’avait pas obtenu suffisamment de voix pour condamner, obligé d’assumer la responsabilité d’une décision à laquelle il n’adhérait pas. « Elle m’a regardé, je l’ai regardé. Le verdict n’avait pas encore été annoncé. Elle avait compris. »
L’annonce du verdict sonne la fin du procès. Tous ses acteurs, accusé, victime, jurés, quittent le Tribunal par la même porte. Il se retrouvent tous sur le parvis, à égal. La distance présente dans la salle est effacée.
Les jurés sont mis directement face à leur décision commune, même lorsque celle-ci ne satisfaisait pas leur conviction individuelle.
4 : L’après
Malgré la fin des procès, la souffrance psychique des jurés n’est pas finie. Certains suivent attentivement les résultats des procès, les dates de sorties, l’aménagement des peines, le sort des condamnés, ou des relaxés. Ils gardent les journaux traitant des affaires, les carnets de prise de note du procès, ou encore leur convocation.
Souvent des liens de soutien se tissent entre co-jurés. Ceux-ci échangent leurs contacts, et restent en relation. Ils trouvent entre eux les seules personnes capable de comprendre leur détresse.
Certains encore « prolongent » leur immersion dans le milieu judiciaire en effectuant du bénévolat dans les prisons, ou en témoignant dans des associations d’anciens jurés.
Globalement, l’exercice de la fonction de juré améliore tout de même l’image et l’opinion de la justice. La confrontation avec le crime permet de repenser le but de la justice. « Si elle doit punir, elle a surtout vocation à sauver » dit Catherine Papadacci.
En conclusion, le jury d’assise, élément fondamental de la démocratie, peut créer de profondes souffrances dans l’esprit du juré. Un accompagnement post-procès, tel que des réunions avec les magistrats pour discuter du verdict, seraient un point de départ à la prise en compte des personnes et de l’impact de ce devoir.
Source « La souffrance psychique des jures de cour d’assises et les modalités de sontraitement » de Jean-Pierre DURIF-VAREMBONT