Circulation routière / Un an de droit pénal de la circulation routière, de juin 2021 à mai 2021

Circulation routière / Un an de droit pénal de la circulation routière, de juin 2021 à mai 2021

Un résumé des évolutions de la jurisprudence en matière de droit pénal de la circulation routière

  • La conduite du véhicule

La conduite malgré une suspension administrative :

La personne conduisant après une suspension administrative commet un délit (article L.224-16 du Code de la route), mais les éléments matériel et intentionnel de ce délit sont réunis uniquement lorsqu’elle a reçu la notification de la suspension de son permis (Cass. Crim. 21 novembre 2001, n°01-80.410).
La lettre de notification, qui doit être envoyée en recommandée avec accusé de réception, doit seulement arriver au domicile de la personne concernée pour que la notification soit valable, sans qu’il soit nécessaire que la personne concernée la retire(Cass. Crim. 4 juin 2013, n°12-86.877). Cette disposition a notamment permis qu’un conducteur de poids lourds conduisant malgré une suspension administrative de son permis puisse être relaxé, car l’absence de notification prévaut (CA Angers 29 septembre 2020, n°19/00180). En l’espèce, le prévenu a reconnu l’infraction devant la police mais l’a nié en première instance et en appel. Il a été relaxé malgré sa possession de deux exemplaires de permis falsifiés.

 

Le régime de la flagrance

Dans un arrêt de 2021, la cour d’appel de Chambéry précise le contexte de la flagrance appliquée aux infractions au Code de la route (CA Chambéry 24 février 2021, n°19/00692). En l’espèce, un conducteur n’ayant pas mis son clignotant a été contrôlé, et est poursuivi par la suite pour récidive de conduite après usage de stupéfiants, et pour défaut de clignotant. Les policiers vérifient le fichier national des permis de conduire deux fois : une première fois, il est fait établi que son permis est « état de demande », et une deuxième fois après avoir testé positivement le conducteur au cannabis, cette deuxième recherche révélant que le conducteur avait bien un permis B. Le conducteur affirme que si les policiers avaient mieux effectué leur recherche, ils auraient trouvé qu’il possédait bien un permis, et qu’il n’y avait en conséquence aucune infraction, annulant donc le contexte de la flagrance. Cependant, la Cour de Chambéry considère qu’étant donné que le prévenu conduisait sans mettre son clignotant, qu’il n’a pas pu montrer son permis aux policiers, et que la première recherche faisait apparaître la mention « état de demande » sur son dossier, la flagrance était justifiée. Le prévenu aurait donc essayé de faire annuler les actes réalisés en enquête de flagrance en arguant que l’infraction n’existait pas, alors que les enquêteurs en flagrance se fondent sur la plausibilité du crime ou délit, et non pas sur l’existence de l’infraction (Cass. Crim. 3 septembre 2002, n°01-86.950).

 

La vitesse du véhicule

Un conducteur est tenu responsable de toute infraction commise dans son véhicule, à part s’il prouve ne pas être l’auteur de l’infraction (articles L.121-1 et L.121-3 Code de la route). La jurisprudence antérieure à 2020 nous donne des exemples de cas d’exonération : un passeport prouvant un séjour à l’étranger (CA Douai, 10 octobre 2002, n°02.01424), une différence de genre entre le prévenu et le conducteur (Cass. Crim. 1er avril 2008, n°07-86.275 ; CA Toulouse 7 avril 2003, n°02/011022 ; Cass. Crim. 6 mai 2014, n°13-83.588). Cependant, la cour d’appel d’Angers a pu considérer que le conducteur d’un véhicule qui est utilisé par plusieurs personnes peut être exonéré de sa responsabilité d’une infraction si l’auteur des faits n’est pas retrouvé (CA Angers, 6 octobre 2020, n°19/00748). En l’espèce, un conducteur utilisait un véhicule que son employeur louait auprès d’une société qui en était propriétaire. Il n’était donc pas le seul usager, et comme l’auteur des faits est resté inconnu, le prévenu n’a pas été tenu de payer les amendes. Sa responsabilité pénale a été écartée, et l’obligation pécuniaire ne pouvait être retenue.

 

 

  • La lucidité du conducteur

L’état d’imprégnation alcoolique

Un contrôle d’alcoolémie se fait par le biais d’un dépistage positif, ou du refus de s’y soumettre, avant de procéder aux opérations de vérification (CA Rennes, 2 juin 2020, n°19/02407). Ce dépistage préalable n’importe pas dans le procès-verbal, qui va se concentrer sur l’éthylomètre et la prise de sang (Cass. Crim. 28 janvier 2014, n°13-81.330).
En l’espèce, le prévenu était poursuivi pour blessures involontaires aggravées par l’état alcoolique, exposition d’autrui à un risque et circulation éloignée du bord droit de la chaussée, ayant percuté deux véhicules après s’être déporté sur la gauche de la chaussée. Il n’y a pas eu de dépistage préalable, mais les juges estiment que les opérations de vérification du taux d’alcoolémie après les faits, effectuées grâce à un éthylomètre, sont conformes.

La preuve de l’alcoolémie ne peut pas être fondée que sur les opérations de vérification (CA Chambéry, 27 janvier 2021, n°10/00511). L’absence de mentions relatives à l’éthylotest ne saurait faire grief au prévenu, tant que l’éthylomètre, avec ses références et sa marque, est bien mentionné.

 

Usage de produits stupéfiants

Lorsque la vérification de prise de stupéfiants est faite par prise de sang, il faut qu’il y ait deux tubes d’analyse, dont un tube de contrôle (CA Angers, 2 juin 2020, n°18/00390). Il existe un délai de 5 jours pour que le prévenu demande l’analyse de contrôle (selon un décret du 24 aout 2016), à peine de ne plus pouvoir contester la régularité des opérations de contrôle (Cass. Crim. 19 décembre 1991, n°88-85.149). En l’espèce, le prévenu a été contrôlé positif au cannabis par prise de sang. Le tribunal correctionnel d’Angers ordonne l’expertise de contrôle, mais l’analyse de contrôle, concluant à la même positivité, n’est pas transmise à temps. La cour d’appel a ordonné l’examen de contrôle également, désignant toujours le même expert (le fait que le deuxième expert dans une analyse appartienne au même laboratoire que le premier ne fait pas forcément douter de sa neutralité, selon un arrêt Cass. Crim. 20 mars 2018, n°17-81.238), mais le flacon de contrôle avait été détruit. L’expert produit le rapport quand même, et la Cour d’appel relaxe le prévenu, car la situation pouvait créer un doute quand à l’infraction, et car l’absence de notification dans le délai n’importe pas si la cour a ordonné le second examen.

 

  • La sécurité du véhicule et des personnes

Angles morts

Le décret D. n°2020-1396, 17 novembre 2020, décret d’application des dispositions crées par la loi du 24 décembre 2019 sur les mobilités, créé l’article L.313-1 Code de la route sur les véhicules à équiper de signalisation sur leurs angles morts, complété par l’article R.313-32-1 du Code de la route, prévoyant quels véhicules sont concernés par la sanction pécuniaire applicable : tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes sont concernés, sauf les véhicules agricoles et forestiers, les engins de service hivernal ou les véhicules d’intervention des services gestionnaires des autoroutes. Des autocollants de différentes couleurs selon la visibilité de la zone par le conducteur ont été créés par un arrêté du 5 janvier 2021. Une amende maximum de 750 euros est prévue en sanction de toute contravention.

 

  • La circulation et le stationnement du véhicule

Usage des routes et autoroutes

L’article L.412-1 du Code de la route prévoit que faire obstacle à la circulation est sanctionné de 2 ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende, ainsi que d’une suspension de permis pendant trois ans maximum, et la réduction du nombre de points sur le permis de moins que la moitié du nombre maximal. Cet article s’applique surtout, en pratique, aux manifestations sur la voie publique, avec de nombreux exemples jurisprudentiels : des manifestants avertis que leur manifestation avait un caractère illicite et ayant continué commettent un délit (Cass. Crim. 8 mars 2005, n°04-83.979). Une obstruction complète d’une gare de péage va au-delà d’une simple gêne causée par une manifestation (Crim. 15 juin 2010, n°09-87.191). De plus, le délit prévu par cet article est conforme à l’article 11 CEDH, car il vise à la protection de l’ordre et des droits d’autrui (CEDH 5 mars 2009, n°31684/05 Barraco c/ France). Une obstruction de la voie publique en mettant des poubelles au milieu de la route constitue une infraction de ce type (CA Aix-en-Provence, 6 juillet 2020, n°20/0251). En l’espèce, des policiers appelés pour constater une infraction se voient bloquer le passage par un homme qui bouge des poubelles et des conteneurs de poubelles en pleine rue. Interpellé, il explique qu’il réagit à la grève des éboueurs. Il est condamné en première instance, reconnaît l’entrave en appel mais continue de nier qu’elle constituait une infraction, alors que des vidéos de surveillance le montrent en train de bouger les poubelles de manière délibérée.

 

  • Caractérisation des infractions et application des sanctions

Preuve et constatation des infractions

Selon l’article 537 CPP, la nullité d’un procès-verbal est établie seulement par preuve contraire. La jurisprudence a estimé qu’un PV non signé par l’intéressé n’encourt pas une nullité automatique (Crim. 9 février 2000, n°99-80.371), même dans le cas où un agent intercepteur avait dressé un PV après un excès de vitesse mais l’agent en poste fixe n’avait pas signé (Crim. 8 juin 2006, n°06-81.293). La Cour de cassation rappelle que l’absence de signature n’invalide pas forcément le PV (Cass. Crim. 2 septembre 2020, n°19-84.665). En l’espèce, un conducteur en état alcoolique a encouru 350 euros d’amende et 1 mois de suspension de son permis. Le tribunal de police l’a relaxé en raison de l’absence de signature de sa part sur le PV, et cela remettrait en cause sa déclaration du fait qu’il n’avait pas consommé d’alcool ou de stupéfiants dans les 30 minutes avant le contrôle. Pourtant, la Cour de cassation censure cette décision, estimant qu’il aurait choisi de ne pas signer le PV.

 

Sanctions

L’article L.121-6 du Code de la route, créé par la loi du 18 novembre 2016, dispose que pour les infractions prévues à l’article L.130-9 du même Code, le représentant légal de la personne morale qui possède le certificat d’immatriculation du véhicule a un délai de 45 jours (à compter de l’envoi ou de la remise de la contravention) pour indiquer qui conduisait le véhicule lors de la contravention. Sinon, il encoure une amende de 750 euros. La contravention poursuivie n’est pas conditionnée à la validité de la procédure antérieure (Crim. 24 mars 2020, n°19-86.463 : la contravention d’origine est distincte de la contravention de l’article L.121-6 du Code de la route), le juge n’ayant donc pas besoin de se pencher sur la validité de la première procédure, car de plus, si l’avis de contravention initiale n’est pas dans le dossier, le juge peut demander un supplément d’information (Cass. Crim. 17 novembre 2020, n°20-81.244).

Une personne morale est toujours tenue de son obligation de connaître l’identité du conducteur, même si cela est impossible car il y a deux personnes à bord : dans l’exemple d’une société d’ambulances, la présence d’une feuille de route sans indications précisées sur l’identité du conducteur n’exonère pas la personne morale de la responsabilité, car un recensement du conducteur est possible (Cass. Crim. 2 mars 2021, n°20-85.359 ; Cass. Crim. 26 janvier 2021 (deux arrêts), n°29-83.913 et n°20-83.917 ; Cass. Crim. 2 janvier 2021, n°20-83.918 ; Crim. 17 novembre 2020, n°20-81.249).

L’article L.121-6 du Code de la Route, qui prévoit une obligation de désignation par la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation du conducteur du véhicule lors de l’infraction commise, est jugé conforme à l’article 6 de la CEDH, car proportionné. Les éléments considérés sont l’amélioration de la sécurité routière, le fait que le représentant de la personne morale est obligé de transmettre l’identité du conducteur, mais l’identité elle-même n’est pas incriminante, et le représentant de la personne morale peut être exonéré de la responsabilité (Cass. Crim 15 décembre 2020, n°20-82.503).

Le représentant de la personne morale mise en cause n’est pas exonéré si le conducteur n’est pas un préposé de la personne morale (Cass. Crim. 16 mars 2021, n°20-83.911 ; Crim. 17 novembre 2020, n°20-81.241).

Si une personne morale en possession du certificat d’immatriculation ou titulaire d’un véhicule l’a loué à une autre personne morale, qui l’a loué au conducteur, la deuxième peut être légalement obligée de donner l’identité du conducteur, au même titre que la première personne morale (Cass. Crim. 1er septembre 2020, n°19-85.466).

Une personne morale ayant reçu les avis de contravention et de non-désignation du conducteur peut être relaxée. En l’espèce, un avis de contravention, et un avis de non-désignation du conducteur ont été adressé à une personne morale, alors même qu’elle n’était pas la destinataire et que la conductrice avait déjà payé (Cass. Crim. 4 mai 2021, n°20-83.566).

Un prévenu, pour être relaxé de sa responsabilité tenant à l’infraction de l’article L.121-6 commise, doit avoir contesté les mentions contenues dans l’avis de contravention reçu, si celles-ci sont incorrectes (Cass. Crim. 13 avril 2021, n°20-85.796). En l’espèce, la personne morale concernée a reçu un avis de contravention mentionnant seulement la date d’édition, et non pas la date d’envoi. La Cour de cassation a estimé qu’étant donné que le prévenu n’avait pas contesté les mentions contenues dans cet avis, il ne pouvait pas être relaxé de sa responsabilité. De plus, la cour d’appel aurait dû demander un supplément d’information.

 

Incidence des sanctions

L’article L.212-9 du Code du sport interdit l’exercice des fonctions d’éducateur sportif quand la personne concernée a été condamné pour une infraction par le passé (même pour une infraction prévue à l’article L.235-1 et L.235-3 du Code de la route). Une QPC a été transmise au Conseil constitutionnel sur cette question, car cela créé une obligation d’honorabilité, et une incapacité professionnelle définitive (Cons. Const. 7 mai 2021, n°2021-904). Le Conseil a jugé cette disposition conforme à la Constitution, car elle vise à préserver l’éthique du sport. De plus, il n’y a pas d’atteinte à la liberté d’entreprendre car le condamné peut demander la non-inscription de la condamnation.