16 Juin LA PERTE DE CHANCE
Le préjudice doit être certain pour être indemnisé. Ainsi un préjudice éventuel futur ne peut pas être indemnisé. Mais ce principe est complété par celui de la perte de chance.
La perte de chance est la disparition certaine d’une éventualité favorable à la victime.
On indemnise ici la perte de l’opportunité et non le gain qui aurait été procuré par cette opportunité si elle s’était réalisée. En pratique, le chiffrage de cette indemnisation est réalisé ainsi : le juge prend en compte le total des gains qui auraient pu être obtenus, et y applique un coefficient réducteur.
La perte de chance peut être envisagée dans de nombreux cas, lorsqu’un élément futur devient impossible. Mais elle n’est pas toujours admise par la jurisprudence. En effet, en raison du principe de réparation intégrale, il y a lieu à vérifier si la chance perdue est bien certaine, et pas déjà comprise dans un autre poste d’indemnisation.
La perte de chance professionnelle
Après la consolidation, plusieurs postes de perte de chances professionnelles peuvent être indemnisés.
Tout d’abord, on peut indemniser l’absence de salaire d’une victime étant en recherche d’emploi avant la survenance du dommage. Ainsi on peut estimer qu’elle aurait trouvé un emploi et que le dommage à générer une perte de chance de ces revenus.
Ensuite, lors d’un dommage affectant la capacité à travailler, l’employé peut être indemnisé de la perte des gains futurs. Certains employés ont demandé une indemnisation indépendante, au titre de la perte de chance de gains. Cela visait la perte de chance d’une promotion, qui aurait engendré des revenus supérieurs. Mais la position de la Cour de cassation sur l’autonomie de cette indemnisation, n’est pas stable. Si elle a parfois admis cette indemnisation, elle l’a d’autres fois rejetée, au motif que cette perte était indemnisée par celle des gains futurs. C’est particulièrement le cas lorsque l’indemnisation se fait en l’état de rente, qui peut être majorée.
Cour de cassation – Deuxième chambre civile, 1 février 2024 (n° 22-11.448) :
« La victime ne démontrait pas que, lors de l’accident, elle présentait des < chances > de promotion < professionnelle, à défaut de se prévaloir d’une formation ou d’un processus de nature à démontrer l’imminence ou l’annonce d’un avancement dans sa carrière ou encore d’une création d’entreprise. »
La perte de chance de réussite d’un concours
Il a pu être indemnisé la perte de chance de réussir un concours, pour un participant admissible aux écrits. La responsabilité de l’Etat avait été retenue. En l’espèce, le participant avait atteint l’âge limite, il n’aura donc pas pu reparticiper au concours.
Cour administrative d’appel de Marseille 23 novembre 1999 : « compte tenu de cette circonstance et de la perte d’une chance sérieuse d’admission définitive, l’intéressé justifie d’un préjudice anormal et spécial »
La perte de chance de vie
Peut-on indemnise la perte de la chance de vivre ? C’est une question qui a été posée à la Cour de cassation en 2013.
Le tribunal de 1ère instance avec octroyé environ 200 000 euros aux héritiers de la victime, décédée, pour perte de chance de vie.
La Cour d’appel avait annulé cette décision, au motif que le droit de vivre en bonne santé pour une durée déterminée n’était pas un droit patrimonial, compte tenu des aléas de la vie.
Le demandeur au pourvoi soutenait alors que l’aléa est un élément de la perte de chance qui n’empêche pas l’indemnisation.
Mais la Cour de cassation dans un arrêt du 26 mars 2013, par la chambre criminelle, confirme l’arrêt de la Cour d’appel. Elle explique que « aucun préjudice résultant de son propre décès n’a pu naître, du vivant de la victime, dans son patrimoine et être ainsi transmis à ses héritiers ».
Ainsi, pour que le préjudice de perte de chance de vie puisse être transmis aux héritiers du défunt, il faut que celui-ci existe dans le patrimoine de la victime, lors de sa vie.
Mais puisque la perte certaine de chance de vie nécessite la mort, ce préjudice ne peut pas avoir exister dans le patrimoine de la victime, de son vivant. Il ne peut donc pas être transmis aux héritiers, et indemnisé.
Ainsi l’appréciation de la perte de chance est faite au cas par cas, in concreto, par la Cour de cassation et les juridictions, afin d’assurer la réparation intégrale des victimes, sans pertes ni gain.